dimanche 14 décembre 2008

PANTOUFLAGE "INVERSE"

Les effets nocifs de certains détails peu connus

Il s'agit de détails souvent infimes, mais qui ont de grandes conséquences pour le cheval.

Comme la plupart du temps, personne n'y prête attention, autant maréchaux que cavaliers, je vais le détailler ici pour bien le faire comprendre, afin que cela puisse être évité aux chevaux.

Pour cela voici un fer absolument banal, que j'ai récupéré sur un cheval qui venait d'être déferré :

Je le photographie de cette façon afin de mettre en évidence le détail important : à plat sur le bord d'une table, une règle posée verticalement en travers des éponges, sur la voute du fer, et maintenue par deux plots en pâte à modeler.

Lorsqu'on observe ce fer vu de dos, on voit immédiatement, que la règle ne porte réellement qu'aux point indiqués d'une flèche rouge, et petit à petit la distance entre le fer et la règle s'agrandit jusqu'aux ronds bleus.


Cette configuration de la voute des fers est une chose extrêmement répandue.

Examinons en détail l'incidence que cela a sur le sabot . Pour la facilité, je vais observer la branche gauche, où l'inclinaison de la voute est la plus nette :

J'agrandis ce détail ici :


On voit très bien que la voute du fer est en réalité conformée comme un plan incliné, (trait vert) s'abaissant vers l'intérieur du pied. L'angle entre les flèches mauves représente le degré d'inclinaison de cette voute.

Maintenant, quelques rappels de physique :

Lorsqu'une charge verticale, ici représentée en noir, est posée sur un plan incliné, ici tracé en vert, elle se décompose naturellement en deux efforts, l'un dirigé perpendiculairement au plan incliné, ici tracé en bleu roi, et l'autre dirigé dans le sens de la pente, tracé ici en rouge.

On peut même calculer très précisément la valeur des charges «bleue» et «rouge», en fonction de la charge initiale «noire» : la charge rouge est le produit de la charge noire par la tangente de l'angle mauve, autrement dite "pente" du plan incliné. (En toute rigueur, le sinus de cet angle, mais on admet l'équivalence pour des angles de faibles valeurs ).

C'est à dire, si j'appelle P la charge noire (dans notre cas la partie du poids du cheval supportée par cette partie du talon) , et R, la charge rouge, qui en découle, dans le sens de la pente, j'ai la relation suivante :

R = P x BC/AB

Si je reviens au cas de la branche du fer plus haut, je mesure ceci : BC/AB = 3,2 %.

Cela veut dire que 3,2 % de la charge exercée par le cheval sur cette partie de cette branche se transforme en un effort appliqué à ses talons, et dirigé vers l'intérieur du sabot. C'est à dire qu'il s'agit d'un effort de serrage, qui tend à faire se rapprocher les talons du cheval l'un de l'autre, et ceci d'autant plus fortement qu'il s'appuie lui-même fortement sur son pied, puisque nous avons vu que cet effort de serrage est proportionnel à la charge verticale .

Dans le cas de ce fer, la pente de l'autre branche est un peu moins importante.


Voyons ce que cela représente concrètement pour le cheval. Admettons que la pente de 3,2 % soit sur les deux branches et que le cheval pèse 400 kg.

Bien sûr, la charge sur chaque membre n'est pas uniquement supportée par cette partie-là du pied. Il faut bien voir qu'elle est normalement répartie de différentes façons, selon que la fourchette touche ou non le sol, que le sol est plus ou moins meuble, selon les angles du pied, la phase du mouvement, etc .

Par exemple, si la fourchette ne touche pas le sol, ce qui arrive trop souvent, et que le cheval se déplace sur un sol ferme, alors, au cours du mouvement, le cheval passe par des phases où la charge est entièrement supportée par les talons.

Des études s'accordent pour dire qu'à l'allure d'un trot soutenu, un cheval supporte sur chaque pied 2 fois son poids et celui de son cavalier. Ici, nous dirons pour simplifier que le cheval, la selle et le cavalier pèsent 500 kg.

Entre le moment où il a le pied au soutien, où son pied ne supporte donc rien, le moment où il se repose, et où ses talons ne supportent qu'une partie de son poids, et le moment où il trotte, ses talons vont avoir à encaisser de 0 à 1000 kg de charge verticale.

Dans ces conditions, notre petit calcul nous permet donc de dire que 3,2 % de cette charge est transformée en effort de serrage sur les talons, soit o à 32 kg.

Cela veut dire que par le simple fait de la conformation de la voute de ce fer en éponges, inclinée de cette façon, le cheval a à supporter des efforts de serrage de ses talons, qui ne sont nuls qu'en phase de soutien, car , même au repos, les talons de chaque pied supportent forcément une partie du poids du cheval.


Il ne faut pas croire que certaines valeurs soient négligeables : dès que la voute d'un fer n'est pas absolument horizontale, mais inclinée, il en résulte un effort dans le sens de la pente. Même s'il ne s'agit que d'un cheveu, comme sur la branche externe, où la pente y est de l'ordre de 1 %. C'est à dire que si les deux voutes étaient juste comme cela, cela ferait tout de même un effort de serrage de 0 à 10 kg au trot ... pour le cheval que j'ai pris comme exemple.


Il faut donc veiller à ce que les voutes des éponges d'un fer ne soient absolument JAMAIS inclinées vers l'intérieur, ne serait-ce que d'un cheveu.

Si on n'est pas sûr de les faire parfaitement horizontales, on peut les incliner très légèrement vers l'extérieur, car, à ce moment là l'effort dans le sens de la pente est un effort visant à aider les talons à s'écarter, ce qui va dans le sens de leur mouvement naturel, et ne peut que leur être bénéfique. Maintenant, il faut être très conscient que l'angle de l'inclinaison va très vite induire des efforts importants pour les talons, même dans le sens de l'écartement, et il faut soit conserver un angle de pente très faible, soit le faire après avoir donné énormément d'élasticité aux talons et à la sole, grâce aux onguents Tradition, ce qui va permettre alors d'agrandir considérablement le pied du cheval et résoudre tous les problèmes de pieds serrés, encastelures, etc . A lire également à ce sujet : ajusture et pantouflage


C'est le problème qu'il y avait pour K. : ses talons sont posés sur des branches dont les voutes sont inclinées vers l'intérieur, et cela lui fait serrer les talons à chaque foulée. Encore plus au trot qu'au repos, forcément. ( sans parler des allures encore plus vives !!! ... )

Il ne faut pas s'étonner, alors, qu'elle ait montré de la gêne, et que ses pieds se referment, de ferrure en ferrure ...




J'ai agrandi le détail montrant l'inclinaison des voutes des éponges : je mesure pour la voute en vert vif une pente de 7,7 %, et pour la voute en vert clair une pente de 6,9 %, soit une moyenne pour ce pied de 7,3 % .

Je ne sais pas combien pèse K., mais ce qui est sûr, c'est qu'avec ce fer, 7,3 % de la charge sur les talons de ce pied se transformaient à chaque appui en effort de serrage sur ses talons.

Si elle pesait comme le cheval que j'ai pris en exemple, et avec les mêmes approximations simplificatrices, nous obtiendrions :


de 0 à 73 kg d'effort de serrage sur les talons de ce pied,
selon les phases du mouvement,
entre le "soutien" et le trot.

Je précise que ces chiffres ne figurant sous cette forme quasiment nulle part, il est tout à fait compréhensible que cela soit ignoré de la plupart des gens.

C'est pourquoi

il n'est pas question d'utiliser ces éléments pour

critiquer,ni encore moins accuser

qui que ce soit.

En revanche, il me semble important de les faire connaître pour éviter, à l'avenir, que ce genre d'erreur par ignorance ne se perpétue, car cela a de très grandes conséquences pour les chevaux.


En toute rigueur, et ne serait-ce que d'un point de vue strictement mécanique, il serait bon d'inclure dans l'étude des efforts réellement ressentis par le cheval énormément d'autres données qui sortent du cadre de cette courte présentation.

Elle n'a d'autre but que d'attirer l'attention sur ce détail absolument infime qu'est souvent le pantouflage " inverse", réalisé par des maréchaux pourtant informés des effets du pantouflage "normal" comme moyen de désencasteler un pied, mais dont l'attention n'a pas été forcément attirée sur les effets pervers de ces infimes pentes que prennent parfois les éponges des fers sans qu'ils y prennent garde.

(autorisation et photo de K. aimablement offertes par sa propriétaire, que je remercie).


Copyright Catherine Castel